La Libye grand État stabilisateur de la zone saharienne est
devenue un espace parcouru par une dérive guerrière qui interpelle la
conscience, la réflexion et l’effort de compréhension de tous par son ampleur
et ses répercussions.
La crise libyenne recouvre à la fois le soulèvement
populaire contre le régime du colonel Kadhafi, la guerre civile qui s’en est
suivie, l’intervention militaire internationale dans le cadre du mandat posé
par la Résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU et la phase chaotique
qui a suivi la chute du dictateur libyen.
Non seulement l’intervention étrangère a-t-elle des
conséquences géostratégiques majeures pour le pays et son environnement
régional – comme l’illustre la situation au Nord Mali – mais, en interférant
dans le processus de reconstruction nationale et de production identitaire,
elle constitue également un facteur de perturbation des possibilités d’une
transition démocratique.
Les velléités sécessionnistes comme celles de la Cyrénaïque,
les représailles intertribales, les affrontements interethniques ou les
expéditions punitives contre les migrants, l’image que renvoie à première vue
la Libye de l’après-Kadhafi est celle d’un pays qui se militarise et se
fragmente sur des lignes de fractures claniques, tribales ou locales.
La Libye : conflits des légitimités
Apres avoir dressé le substrat historique qui a débouché sur
la crise libyenne de 2011, Pr Abderrahmane Mekkaoui a brossé un portrait
saisissant de la guerre civile libyenne en cours. Le sud libyen est aujourd’hui
un trou noir sécuritaire où trouvent refuge bon nombre de terroristes.
Contrairement au récit officiel de la guerre en Libye, pour l’essentiel
focalisé sur le Nord, le Sud libyen est, depuis le début de l’insurrection, en
proie à une instabilité croissante, qui a inéluctablement des répercussions sur
de vastes aires saharo-sahéliennes, à plusieurs milliers de kilomètres de
l’épicentre côtier.
Ces luttes se sont progressivement ethnicisées, si bien que
la Libye apparaît de plus en plus fragmenté, aussi bien socialement que
spatialement. Grondant d'une violence multiforme se nourrissant de conflits
ethniques, d'extrémismes religieux, de crimes mafieux, de manipulations de
partis politiques, de jeux troubles d'officines de renseignement. Cette présentation
synthétique des conflits serait incomplète si l’on ne prenait en compte la
rivalité des légitimités qui en a résulté et émergé sur l’ensemble du
territoire national. Elle a conduit à l’éclosion de groupes armés et à leur
prolifération pendant et après la guerre, mais aussi au réveil de certaines
communautés qui revendiquent leur contribution à la libération du pays :
Berbères, Toubous, Cyrénaïcains, gens du Fezzan, etc.
Ce phénomène de fragmentation, entamé durant la rébellion
armée, s’est paradoxalement amplifié depuis les législatives de juillet 2012.
Il est lié à la pérennité des divisions sociales et régionales qui ont toujours
structuré le pays. Ces milices estiment qu'elles ont joué un rôle très
important pendant la révolution, et certaines d'entre elles refusent de rendre
les armes parce qu'elles croient que c'est un moyen d'avoir plus d'espace
politique ou bien d'obtenir de meilleures conditions. Certaines disent qu'elles
souhaitent une intégration dans l'armée, d'autres désirent imposer leur vision
de ce à quoi devrait ressembler le pays. Certaines milices, particulièrement
celles de Benghazi, qui voudraient que la Libye devienne un État islamique, se
heurtent aux politiciens libéraux.
On constate par ailleurs une progression continue de l’extrémisme
violent en Libye. L’agenda des islamistes est de refaçonner le paysage
politique libyen à leur profit. L’un des plus importants est Ansar al-Charia à
Benghazi, qui est en relation avec les branches maghrébines. Les Frères
musulmans libyens, alliés à plusieurs groupes islamistes, ont opté pour la
prise du pouvoir hors des urnes. Appelant à une « correction de la révolution
», les milices de Misrata arguent que les libéraux, les exilés et les anciens
du régime ont trahi les racines islamiques de la rébellion pour satisfaire aux
attentes des Occidentaux.
Une intervention des pays voisins apparaît improbable et
compliquée. Ils prendraient en effet le risque de mettre le doigt dans un
engrenage qu’ils ne maîtriseraient absolument pas, la situation actuelle étant
un véritable bourbier. Personne n’a aujourd’hui la volonté politique ni les
moyens d’intervenir en Libye, que ce soient les Occidentaux, les Algériens ou
les Égyptiens, qui pour ces deux derniers, n’ont jamais agi militairement à
l’extérieur de leurs frontières. La question lancinante est celle de savoir
d’où viendra le salut ?
Rapport rédigé par Dr. Jean Baptiste Harelimana/IAM
Complété par Dr. Paul Kananura/IM
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