La dernière grande tournée de Sa Majesté le Roi du Maroc en
Afrique a suscité un grand intérêt géopolitique, médiatique et un engouement du
monde de l’expertise et de l’investissement.
Une nouvelle donne qui redessine les futurs espaces de
prospection économique, de coopération multisectorielle et de partenariat
renforcé, sortant des cercles obsolètes et des organisations régionales (OUA,
UMA, UEM).
La coopération Sud Sud s’impose au continent africain comme
alternative au modèle de développement post colonial ayant présidé au ressort
économique depuis les indépendances jusqu’aux premières répercussions de la
mondialisation.
La majorité des pays africains ont été impactés par la
succession d’une série de mutations géostratégiques majeures qui ont
redistribué les cartes dans ce continent de contrastes : un continent de plus
d’un milliard d’habitants, un marché colossal pour les investissements, des
ressources naturelles vitales, mais aussi, un retard en infrastructures, une
pénétration économique de la chine à tendance hégémonique, un retrait
progressif de la France sur fond de scandales à répétition (Françafrique) de
menaces terroristes…autant d’éléments qui posent, avec acuité, la question de
l’avenir de l’Afrique.
L’image que donne l’Afrique d’elle-même, à tort ou à raison,
est celle d’un continent incapable de s’affranchir de la tutelle des ex
colonisateurs pour sa sécurité, d’un continent dépourvu de ressources humaines
endogènes, d’un continent organiquement sous perfusion de l’aide internationale
et des organisations onusiennes, d’un continent déboussolé idéologiquement
depuis la fin de la guerre froide, et enfin, d’un continent enlisé dans les
conflits frontaliers, ethniques, confessionnels, générateurs de déplacement
massif des populations, source de migration indésirables en Europe.
Le déterminisme géopolitique accentue cette désintégration,
au nord, entre une Ligue Arabe malade d’un panarabisme en déchéance, un Maghreb
dont la construction est prise en otage par l’obsession du leadership et le
soutien irrationnel au séparatisme, un Sahel crisogène, proie aux foyers
jihadistes, victime de la récurrence des coups d’Etat et enfermé dans une impasse
sécuritaire, une Afrique Equatoriale confrontée au pillage de ses ressources
naturelles, cycliquement le théâtre de génocides et source permanente de
naufrage humanitaire, une Autre Afrique ( tiers monde dans le tiers monde,
dixit le PNUD) ,constituée de pays devenus, au fil du temps, une réserve
naturelle où l’homme dans sa détresse, fait partie du paysage pour les
organisateurs de Safari ou pour les anthropologues en quête du mythe de l’Homme
primitif ou des organisations tribales vivant de la chasse et de la cueillette,
et enfin, l’Afrique du Sud qui, malgré sa croissance économique fulgurante,
porte toujours les stigmates de la suprématie de l’homme blanc sur ses
compatriotes de couleur.
Pendant ce temps, chaque pays a tenté l’approche de l’arrimage
à telle ou telle entité géopolitique exogène pour son développement. Des choix
dictés, hélas, par pragmatisme et par l’absence d’une organisation continentale
motrice. Le Maroc et la Tunisie se sont tournés vers l’Europe en ratifiant des
accords autour de déterminants, géopolitiquement non durables (5 + 5, UEM,
Statut avancé pour le Maroc), mais économiquement viables par les impacts des
transferts des immigrés, des délocalisations industrielles ou tertiaires, des
partenariats public-privé , du tourisme, de la co-localisation des
investissements…L’Egypte, tributaire des fonds d’aide en provenance des pays du
Golf et des Etats Unis , tourne le dos au continent africain. L’Algérie,
inscrite dans une logique rentière autour du pétrole, succombe aux sirènes de
la Chine et s’enlise dans une indifférence incompréhensible par rapport à son
continent de référence, à son voisin le Maroc et au reste de ses voisins
secoués par de graves crises (Mali, Centre Afrique, Niger, Lybie, Tunisie), au
demeurant très soucieuse du sort du Polisario!
Assez paradoxalement, quatre nouvelles donnes géopolitiques
ont mis cette Afrique face à ses responsabilités et ont ouvert les yeux aux
quelques dirigeants afin de revoir leurs cartes relatives à leur sécurité, à
leur stabilité et à leur développement socio-économique. Quatre impacts
matérialisés par les effets désastreux et caniculaires du printemps arabe, par
l’installation, hélas durable, de la menace terroriste dans le vaste no man’s
land du Sud du Sahara et du Sahel, par le retrait progressif de la France
(Françafrique) enlisée dans la crise économique depuis 2007, secoué par les
scandales de « la Pompe Afrique » et par l’intrusion d’un néo impérialisme
chinois pour qui l’Afrique n’est qu’un gisement de matières premières et un marché
low cost du made « in China ».
Dans ce contexte à la fois d’opportunités et de
vulnérabilités, le Maroc a fait son choix comme pays émergent ou petit dragon
dans le continent africain. Un choix stratégique du fait de l’absence de force
motrice continentale, d’être l’incubateur et l’impulseur de cette nouvelle
vision stratégique : la coopération sud sud. Il a fait également le bon
diagnostic en se posant les questions clés pour élaborer son plan d’expansion
économique en Afrique. Quels atouts à faire valoir pour y aboutir ? Quel modèle
d’organisation pertinent, réaliste et intégré pour la coopération Sud-Sud ?
Quel critère d’éligibilité pour s’ériger en locomotive pour une croissance
économique partagée ? Quelle stratégie de convergence avec gagnant gagnant pour
l’Afrique ? La réponse à ces questions avait et fait l’objet de concertations,
de rencontres, de colloques et d’intenses tractations diplomatiques et visites
d’Etat dont la dernière visite de Sa Majesté Mohammed VI au Mali, en Côte
d’Ivoire, au Gabon et en Guinée. En toile de fond près de quatre-vingt
conventions de coopérations bilatérales ont été signées entre Rabat et les
quatre pays.
La première réponse relative aux atouts majeurs, dont
dispose le Maroc pour y prétendre, se décline en un package consolidé autour
d’une expertise acquise à travers son partenariat stratégique avec l’Europe. Le
Maroc a intégré le concept du partenariat public/privé depuis 2006 dans
l’ensemble des ses stratégies sectorielles nationales. Au niveau industriel, le
plan Emergence s’est décliné sous la forme d’une grande « périphérie
industrielle de l’Europe » à travers l’optimisation des délocalisations vers le
Maroc. Il est question, notamment de l’industrie de l’automobile (Partenariat
public (l’Etat) et privé (Renault), de l’aéronautique (EADS, Airbus, Safran,
Bombardier), du textile, de l’industrie pharmaceutique (les médicaments
génériques), de l’agro-alimentaire…. L’attractivité industrielle du nouveau
dragon d’Afrique s’est adossée à un secteur stratégique vital, la logistique.
Les Plans Maroc vert et Halieutis pour le développement et la mise en valeur de
son agriculture et des ressources halieutiques. Le Plan Azur et sa capacité à
moyen terme d’accueillir plus de vingt millions de touristes. La logistique
dans des composantes polarisantes : la RAM en position leader en Afrique, le
maillage autoroutier du territoire qui ouvrent les régions, hors littoral
atlantique, aux investissements, et le port de Tanger Med au cœur des
autoroutes maritimes majeures entre l’Atlantique, la Méditerranée et vers
l’océan Indien en passant par la Mer Rouge, via le Canal de Suez. Le concept de
carrefour maritime est devenu une réalité et une déterminante de son
attractivité. L’ensemble de ces secteurs stratégiques est impulsé par le partenariat
public/ privé tant au niveau national qu’international.
Le deuxième atout se traduit par sa capacité, son expertise
et sa compétitivité dans le secteur des services (Finances, Télécom,
Enseignement supérieur, offre privée de Santé…). Son attractivité sociale,
fiscale et son modèle d’offshore, font du Maroc la troisième zone de
délocalisation mondiale après la Chine et l’Europe de l’Est. Le troisième atout
et non le moindre se matérialise par son rôle de sace pour les flux financiers
dans leur diversité (près de deux Milliards d’€uros d’investissements annuels en
moyenne en provenance des institutions financières internationales ou des pays
du Golf), des transferts des MRE qui avoisinent les cinq milliards d’€uros
chaque année et de ses exportations industrielles, minières et agricoles qui
contribuent à hauteur de onze Milliards d’€uros. Le quatrième atout se
matérialise par le rôle moteur du secteur privé, des PME, de plus en plus
performantes, et d’un capital humain formé selon les standards internationaux.
Un environnement propice pour les affaires avec une série de réformes tendant
au renforcement de la bonne gouvernance des finances publiques, de la lutte
contre la corruption et du guichet unique pour fluidifier la circulation des
investissements privés.
La réponse à la deuxième question s’est traduite par le choix
d’un modèle de coopération renforcée et à géométrie variable. Une nouvelle
relation à l’espace économique qui progressivement tend à s’affranchir de
l’inertie des organisations régionales ou continentales. En d’autres termes,
une redéfinition des aires de coopérations sur des bases contractuelles souples
où d’autres paramètres interviennent dans la construction des espaces de
coopération. Concrètement, quels éléments communs entre le Maroc, le Gabon, la
Côte d’Ivoire et la Guinée, au-delà de leur appartenance géographique au
continent africain et de la francophonie ? Des nouveaux éléments d’ordre
culturel, humaniste et spirituel semblent définir le socle géopolitique qui
présiderait à cette destinée. En clair, s’affranchir de l’inertie liée aux
organisations panafricaines obsolètes, imposées par la géographie, et,
redessiner des entités dont le dénominateur commun et le partenariat, bi/tri ou
multilatéral sans contraintes d’adhésion, sont la norme. Une nouvelle
géographie dont le ressort est la coopération Sud Sud, qui dématérialise
l’espace physique au profit de micro entités spatiales dynamiques.
La troisième question relative au statut du pays locomotive
positionne le Maroc en candidat naturel et légitime. Un pays qui ne cherche
guère le leadership, mais qui fait valoir son rôle géographique, historique et
spirituel vis-à-vis des autres organisations géopolitiques différenciées. Il
est à la fois le trait d’union entre les deux continents européen et africain
sur les plans économiques, financiers et de mobilité des biens et des
personnes, le dénominateur commun entre une Afrique arabe à travers le Maghreb,
et enfin, le carrefour et la source de l’Islam sunnite, tolérant et qui a
démontré sa résilience face aux radicalismes religieux et à son modèle réussi
de cohabitation avec le reste des religions monothéistes.
Enfin, la réponse quant à la stratégie de convergence, avec
la garantie d’un gagnant-gagnant pour l’Afrique, se structure autour de signaux
tangibles, à portée humaine, émis par le Maroc en facilitant la libre
circulation des ressortissants des pays partenaires et la régularisation
administrative de milliers de ressortant en provenance de ces pays.
La présence significative des entreprises marocaines en
Afrique, son rôle de catalyseur de la mobilité intercontinentale par sa
compagnie aérienne, sa participation financière et stratégique dans la finance,
les télécoms, la construction des infrastructures, la croissance urbaine et le
transfert d’un modèle de développement humain (INDH) au pays cible, sont autant
d’éléments qui réconfortent son éligibilité au rôle de locomotive de la
coopération Sud Sud en Afrique. Un modèle cher aux disciples de la
tri-continentale mais sans sa substance idéologique hostile, jadis, au
capitalisme.
A travers la coopération Sud-Sud, l’Afrique peut se fédérer,
trouver son chemin vers le développement, s’affranchir de la dépendance
vis-à-vis de l’Europe, se prémunir contre le nouvel impérialisme chinois,
réhabiliter son image désastreuse dans le monde et, enfin, réaliser les rêves
des grands leaders africains qui se sont battus contre l’oppresseur. Des grands
Hommes africains, tels Feu Mohamed V, Ben Barka, Mandela, Lumumba qui ont tant
rêvé d’une Afrique stable, prospère et capable de marcher sans s’appuyer sur
des béquilles tordues , en l’occurrence, l’aide internationale et/ou la
providence de l’hémisphère nord.
Youssef CHIHEB
Université Paris XIII - Sorbonne
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