Fatima et Chocolat *** "Combo, street artist engagé", à l'IMA jusqu'au 6 mars 2016 *** Nadim Rachiq invite l’AFM2R à Art Capital au Grand Palais à Paris *** L’art au chevet de la paix : encore et toujours *** 1955-2015 : soixante ans d'indépendance *** Hommage aux anciens combattants d’Afrique et d’ailleurs pour leur contribution à la libération de la France *** Rita CHAMSDINE, Coopération éducative internationale : l’exemple du Royaume du Maroc, Éditions Réfléchir, 2015 *** Joyeuses fêtes *** 2ème Edition du Cycle culturel de l'AFM2R : "Judaïsme, Christianisme, Islam : une civilisation humaine pour vivre ensemble" *** Rentrée 2015 : une Ecole exigeante, juste et mobilisée pour les valeurs de la République *** De Houara à Paris : la vie continue *** Communiqué AFM2R suite à l'attaque de Thalys *** VUELING, compagnie aérienne catalane low-cost : l'art de conclure des vacances de rêve par des cauchemars *** محمد بشار و احمد الزميلي في آداء نقي واحساس خالص : زهرة المدائن *** « Les peuples malades de la Crise » ** (3) Pourquoi lire les philosophes arabes. L'héritage oublié ** (2) Pourquoi lire les philosophes arabes. L'héritage oublié. Introduction ** (1) Pourquoi lire les philosophes arabes. L'héritage oublié. Introduction ** La 1ère Edition du Cycle culturel de l’AFM2R pour un public d’intellectuels raffiné ** 1ère Edition Cycle culturel AFM2R : "Le Regard de l'Ingénu", par le Dr Omar BOUTEGLIFINE ** Première Edition du Cycle culturel de l'AFM2R : samedi 6 juin 2015, salle Jacques BREL, Gonesse (95500) * Ali BENMAKHLOUF : Pourquoi lire les philosophes arabes (l'héritage oublié) * Colonisation intellectuelle, par Tarik RAMADAN * "Non M. Ménard, il n'existe pas d'origine musulmane" * AFM2R-MAROC et AJYAL : action humanitaire à TIOURAR (AMSKROUD) * * Tania KASSIS : une voix pour la paix * * 1er mai de Brahim Bouaram : rappel d'un crime raciste ** Exclue de son collège parce qu'elle porte une jupe longue * * Rencontre inaugurale pour le cycle culturel de l'AFM2R * * Le Coran au Collège de France * * Anniversaire de l'AFM2R : inauguration de son cycle de rencontres culturelles * * الدورة الرابعة لصالون أسماء للثقافة والفنون * * Marie : " Pour mes élèves de Seine Saint-Denis." * * Luc Besson s'adresse à son "frère" musulman * * عزائنا واحد * Parce que nous sommes des êtres humains * * Atomisme, Kalâm et Tawhîd, par Inès Safi. 1ère partie : "La naissance de l'atomisme" * * Atomisme, Kalâm et Tawhîd, par Inès Safi. 2ème partie : Atomisme et kalâm * * Atomisme, Kalâm et Tawhîd, par Inès Safi. 3ème partie : "Grande Unification et tawhîd" * Entretien avec Ali Benmakhlouf : «Philosopher n’est pas prophétiser». 1ère partie * * Entretien avec Ali Benmakhlouf : «Philosopher n’est pas prophétiser». 2ème partie. * * Entretien avec Ali Benmakhlouf : «Philosopher n’est pas prophétiser». 3ème partie * * Casques bleus marocains : valeurs et engagements * * Le prochain CCME dans l'agenda du Parlement à Rabat. * * Hayat El Yamani, Biculturels, 2013 * Abdellatif Laâbi, LE CERCLE DES ARABES DISPARUS… ET RETROUVÉS, 2001. * Abdellatif Chamsdine : France, je t’aime ! Toi non plus ? * Samira Amezghar, "Sans Identité", 2014 * Rapport de la conférence internationale sur la Libye face au terrorisme et au jihadisme * La coopération Sud-Sud : nouvel axe stratégique vers la tri-continentale de Ben Barka *

Entretien avec Ali Benmakhlouf : «Philosopher n’est pas prophétiser». 2ème partie.

ÉTHIQUE ET ENGAGEMENT

Bertrand Russell, logicien sur lequel vous avez longtemps travaillé, dit que «c’est uniquement dans la pensée que l’homme est un Dieu ; dans l’action et le désir, nous sommes les esclaves des circonstances». 
En plus d’être un logicien, Russell a été un anarchiste raisonnable et un pacifiste engagé. Comment concevez-vous l’engagement citoyen du penseur ?


Arrêtons-nous d’abord sur ce terme «circonstances». On est toujours dans un contexte. Il suffit que le penseur exerce son regard pour donner de la visibilité aux choses visibles. Parce que les choses visibles sont enfouies sous le regard commun. 

Michel Foucault disait que «la science rend visible le caché (l’ADN, les virus...) et la philosophie rend visible le visible». Donc, si j’exerce mon regard vers cette visibilité, il y a nécessairement un engagement pour la compréhension du monde. Comprendre, comme le terme l’indique dans sa première acception, réunit les deux facettes, le théorique et le pratique. Dissocier les deux engendre une crampe de l’esprit. C’est ainsi que je conçois l’engagement. Plus je comprends le monde, plus je me donne les moyens d’agir sur lui et accélère mon adaptation à ce monde. Mais si c’est une compréhension absconse, qui ne se laisse pas partager, qui isole dans une tour d’ivoire, ce n’est tout simplement pas une compréhension.


S’il y a une discipline philosophique qui, aujourd’hui, fait intervenir des principes universels, c’est bien celle de l’éthique. En quoi, cela est-il fondamental et comment éviter d’en faire une religion moralisatrice ?

Oui, il y a un terme absolument épouvantable qui devient à la mode : «éthicien». Il n’y a pas de savoir éthique⁵. L’éthique n’est pas une science, mais une pratique transdisciplinaire. En tant que membre de comités d’éthique⁶,  j’insiste sur le fait que nous sommes consultatifs. Nous émettons des avis et laissons au législateur le soin de trancher. En somme, que ce soit sur le don d’organes ou la fécondation in vitro ou tout autre sujet, nous donnons matière aux décideurs et demeurons très attentifs -et c’est là que réside l’importance de l’éthique -au consentement libre et éclairé des personnes. Si quelqu’un décide de donner un organe à son frère, il ne faut pas qu’il subisse la moindre contrainte. Je prends l’exemple de la lutte contre le paludisme au Bénin. Nous recevons, au Comité consultatif de déontologie et d’éthique de l’Institut de Recherche pour le Développement, des demandes d’avis et nous sommes très sensibles à ce que les recherches menées sur les patients soient faites avec leur libre assentiment et qu’elles ne servent pas d’abord l’intérêt de scientifiques en manque de «cobayes». On veille, donc, à ce que les consentements ne soient pas construits pour protéger l’expert et qu’elles servent avant tout à soigner le patient. Sont en jeu, dans l’éthique, l’autonomie de la personne, sa dignité et sa liberté d’agir. Cela dit, dans les débats qui nous réunissent dans ces comités, je déplore, ces dernières années, que le souci de la dignité humaine ait pris le pas sur celui de la justice. Pour ma part, je crois qu’il faut tenir compte des deux.


SECRET ET INFORMATION

Je voudrais vous consulter d’un point de vue éthique sur des questions d’actualité. A travers l’exemple de Wikileaks, il apparaît clairement que le réel et le virtuel se confondent et bannissent les frontières habituelles entre Etat et société. Quel regard portez-vous sur un tel phénomène qui bouleverse les rapports de force établis?

Je voudrais vous répondre par une lettre des Liaisons dangereuses. La marquise de Merteuil fait l’inventaire des raisons qui l’ont poussée à se constituer une forte âme de manipulatrice. Elle dit : «Descendue dans mon cœur (...) j’y ai vu qu’il n’est personne qui n’y conserve un secret qu’il lui importe, qui ne soit point dévoilé». Donc, tout secret finit par être  dévoilé. Il y a juste un changement de temporalité. L’instantanéité perturbe nos repères habituels qui reposent sur les délais convenus de mise à disposition des données archivées.

Par contre, je voudrais revenir sur le concept «information». Sans contexte précis, une information n’en est pas une. Aujourd’hui, je déplore que les journalistes ne puissent pas faire leur métier parce qu’ils sont prisonniers de ce que François Hartog appelle «le présentisme». Il dit que l’actualité est dépassée par l’instantanéité. Ce qui circule sur Internet, même dans Wikileaks, ce sont des messages, non des informations qui permettent de se faire une idée claire sur ce qu’est ou ce que fut la politique de tel ou tel Etat. Donc, il faut distinguer entre information, message, actualité, etc. Comme il faut regarder le passé pour éclairer le présent, et sortir de ce présentisme qui laisse croire qu’il n’y a rien derrière moi, rien devant moi. Le présent, sans passé et sans recul, est une abstraction.


Est-il possible de penser sur un tel sujet sans être manichéen (soit avec le droit de tous d’être informés ou le droit des gouvernants d’être protégés) ?

Je pense qu’on peut aussi bien éviter le travers de l’Etat qui monopolise l’information et celui des bruitages qui ne permettent pas de construire l’information. La frontière entre rumeur et information devient floue. Je déplore personnellement la disparition des guillemets, et la construction qui permet de juxtaposer ce que disent les uns et les autres, et distinguer ce que le journaliste en dit. La pluralité des voix est importante.

Dans Phèdre, Platon dit que la force de l’oral n’est pas que dans la réponse, l’homme répond aussi de lui-même. Autrement dit, dans la réponse, il faut être responsable. Parce qu’il faut se méfier des équivoques. Plutarque disait du roi de Sparte plein de mansuétude : «Il ne saurait être bon, puisqu’il n’est pas mauvais aux méchants», et «Il faut bien qu’il soit bon puisqu’il l’est aux méchants même». A vous de juger, Plutarque ne tranche pas. La bonne information est celle qui aiguise le jugement, non celle qui le formate d’emblée.



CORPS BIOLOGIQUE, CORPS SOCIAL

Vous avez beaucoup travaillé sur la question de la pauvreté. L’expression «lutte des classes» étant aujourd’hui démodée, on a l’impression que riches et pauvres sont fatalement obligés de cohabiter sans qu’il y ait de rééquilibrage des écarts. Pensez-vous que la notion de «justice sociale» ait encore un sens aujourd’hui ? Ne l’a-t-­on pas trop vite jetée aux oubliettes ?

A la fin du chapitre de Montaigne sur Les Cannibales, il fait parler deux ou trois indigènes du nouveau monde, venus voir le roi Charles IX. Montaigne leur demande ce qu’ils ont remarqué d’étonnant en Europe. Ils lui disent qu’ils se nomment eux-mêmes «moitié les uns des autres». C’est cela la justice sociale.

«Nous ne comprenons pas, disent-ils en substance, qu’ici des gens, gorgés de commodités, ne soient pas pris à la gorge par ceux qui meurent de faim et qui sont leurs moitiés nécessiteuses».

Pour les indigènes, ceux qui sont «gorgés de commodités», si indifférents par ailleurs à la pauvreté, suscitent une tolérance à la violence. J’en déduis que la violence sociale se justifie par la grande disparité sociale. Donc, oui, la justice sociale est plus que jamais d’actualité, je dirais que c’est un horizon régulateur de la société à défaut d’en être un élément constitutif.

J’aimerais m’appuyer sur la question de la santé pour étayer mon propos. On voit bien les difficultés que rencontre Barack Obama pour faire passer la loi sur la protection sociale aux Etats-Unis. Au Maroc, l’AMO est un premier pas à saluer. Mais sincèrement, j’entends souvent les analystes parler de la santé comme d’un coût (Combien le budget santé coûte à l’Etat ? entend-on dire) et je n’entends personne évoquer ce que coûterait à l’Etat le fait de ne pas s’occuper de la santé des gens.


En parlant de santé, vous êtes personnellement impliqué dans la réflexion sur la bioéthique. Quelles dérives vous semblent susceptibles de laisser des traces durables et irréversibles sur l’humain ?

La bioéthique cherche à montrer que l’humain n’est pas réductible aux données biologiques. Malheureusement, on surexploite parfois des éléments biométriques, comme les empreintes digitales, pour des raisons sécuritaires. Ainsi, le corps se trouve marqué politiquement.

Les scientifiques et les médecins, contrairement aux politiques, considèrent que nous ne devons pas biologiser la dignité humaine, parce qu’elle n’a rien à voir avec les gènes. Je rappelle que nous partageons 99% de nos gènes avec ceux de certains animaux.

Une des questions éthiques qui se pose, aujourd’hui, est s’il faut faire des recherches sur l’embryon in vitro (à distinguer de l’in utero). Il y a des religieux ultra, anti-avortement IVG, qui confondent le commencement de la vie avec la conception. Ils accordent donc à l’embryon in vitro une dignité humaine. Or, prenons l’exemple de la France. Il y a actuellement plus de 150 000 embryons in vitro qui sont surnuméraires, non sollicités par un projet parental, et seulement 20 000 naissances par FIV (fécondation in vitro) sur 830.000 naissances annuelles en France, avec un taux d’échec élevé des FIV (80%).

Les embryons non implantés sont conservés à -196°C et le législateur prévoit de les détruire mais n’autorise pas de faire des recherches là-dessus, recherches qui permettraient d’avancer dans la connaissance du fœtus et de prévenir bien des maladies. Cette recherche est permise au Royaume-Uni avec imposition de détruire l’embryon au bout de 14 jours de son développement, au moment de l’apparition des premières cellules nerveuses.


-------------------------------------------------------

 ⁵ Ali Benmakhlouf , Russell ; éd. Les Belles lettres, 2004

⁶ Membre du Comité consultatif national d’éthique (en France) et président du Comité de déontologie et d’éthique de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD)

------------------------------------------------------

3ème partie : à suivre.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire