Bonne nouvelle pour le dossier MRE au parlement marocain.
Devant la défaillance d'une part du gouvernement en matière
d'opérationnalisation de l'article 163 de la constitution, qui a consacré la
constitutionnalisation du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger, et
d'autre part des responsables de ce dernier conseil qui n'ont pas présenté
d'avis consultatif durant les quatre premières années de son existence sur son
profil futur, divers groupes parlementaires, aussi bien de l'opposition que de
la majorité, ont pris leurs responsabilités, en déposant des propositions de
lois tendant à la mise en place du nouveau CCME.
Ainsi, après le groupe parlementaire du PAM (16 juillet 2013
sous le numéro 87),le groupe USFP (4 février 2014 sous le numéro 119) et le
groupe des députés de l'Istiqlal ( proposition n° 137 datée du 26 mars
2014),qui ont chacun déposé une proposition de loi tendant à la mise en place
d'un CCME "relooké", en fonction de la constitution rénovée de 2011,
c'est au tour des partis politiques de la majorité parlementaire, de suivre les
pas de trois des partis de l'opposition et ne pas être en reste.
En effet, le 31 octobre 2014, a été enregistré
officiellement à la Chambre des Représentants à Rabat, le dépôt sous le numéro
162, d’une quatrième proposition de loi concernant le CCME, portant la
signature conjointe des groupes parlementaires PJD, Mouvement Populaire,
Rassemblement national des Indépendants, Progrès démocratique ainsi que le
groupement de députés de l'Alliance du Centre.
La proposition de loi comporte 31 articles, dont 7 sont
consacrés aux fonctions et attributions du Conseil, 5 à la composition de
l'institution, 10 à ses organes (assemblée générale, président, bureau du
conseil, secrétaire général, commissions permanentes), 4 aux ressources
financières et humaines et 3 articles comme dispositions transitoires.
Brève comparaison
Se rapprochant plus de la copie USFP, l’initiative
législative de la majorité parlementaire préconise à son article 9, un CCME
composé de 100 membres, répartis comme suit : 40 membres élus ( 30 chez l'USFP)
par le tissu associatif MRE, 30 nommés par le Roi (dont le président et le
secrétaire général), parmi les personnalités reconnues pour leur suivi de prés
et leur connaissance du dossier des Marocains résidant à l'étranger, et 30
représentants diverses institutions consultatives et de bonne gouvernance, les
partis politiques et les syndicats représentés au parlement.
Si au plan démocratique, la proposition de loi de la
majorité parlementaire fait avancer le dossier du CCME, en l'extirpant de la
méthodologie des nominations pures, et si la démarche en termes de parité est à
relever positivement (articles 9 et 10 en espérant qu'elle s'appliquera aussi à
la prochaine direction du Conseil), l'initiative comporte néanmoins certaines
faiblesses, plus ou moins grandes. Dans l'attente d'une analyse plus
exhaustive, en voici quelques unes, repérées à une première lecture.
De nombreuses faiblesses
Au niveau de la forme, le texte semble avoir pâti d'une
préparation rapide : pas de préambule ou d'exposé des motifs; confusion à
l'article 9 entre la Fondation Mohammed V pour la Solidarité et la Fondation
Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger, le nombre des membres de
droit est de 30, alors que lorsqu'on fait l'addition des profils cités, on
trouve 36 (12 institutions et conseils, 11 ministères, 8 partis politiques, 5
syndicats); oubli de citer comme membres de droit des ministères importants
dans le dossier MRE comme celui de la Justice, de la Communication ; le
secrétaire général du Conseil est nommé tantôt pour quatre ans (article 23),
tantôt pour cinq ans (article 9); de même, le président est dit nommé pour six
ans dans l'article 18 (ce qui est énorme comparé à 4 ans pour les membres, voir
même le secrétaire général) et cinq ans dans l'article 9.
Sur le fond, on prend acte du choix de l'option élection qui
a été retenue, comparée à la situation présente ou bien à la proposition de loi
du PAM où la totalité des membres (41) est nommée. Mais la méthodologie
démocratique reste bien minoritaire dans l'ensemble, de l'ordre de 40%, noyée
dans les nominations, en particulier celles de certains membres de droit
(institutions et conseils), dont on voit mal l'utilité de leur présence au sein
du CCME.
Il s'agit en fait de renverser la tendance, en ayant au
moins 60% de membres élus, ce qui permettrait de constituer par ailleurs un
collège électoral élu permettant dans un second tour d'élire des conseillers à
la seconde chambre du Parlement, si la constitution est révisée en conséquence.
Sur ce plan, la proposition de loi du Parti de l'Istiqlal
est la plus en avance démocratiquement de toutes, étant par ailleurs
étroitement articulée avec la proposition de loi istiqlalieenne concernant la
représentation parlementaire des MRE à la Chambre des députés. En effet, le
CCME vu par l'Istiqlal, est composé d'un tiers de nommés et deux tiers d'élus :
30 députés de la première chambre (sur les 60 députés MRE proposés pour être
élus dans des circonscriptions électorales législatives de l'étranger), et un
tiers d'élus provenant d'associations organisées en réseaux thématiques ou de
profils particuliers de MRE.
De plus, la méthode démocratique doit être précisée et
clarifiée d'avantage au niveau des critères des ONG formant le collège
électoral, ainsi que du mode de scrutin retenu (article 9).
Un bilan objectif de la gouvernance du CCME est
incontournable
Par ailleurs, s’agissant des prérogatives et du mode de
fonctionnement du nouveau conseil, la prochaine loi devrait à notre sens,
nécessairement partir d'un bilan préalable du fonctionnement de l'institution
depuis fin 2007 : quels résultats, quels aspects positifs à renforcer, quels
dysfonctionnements et aspects négatifs à éviter; quels sont les responsables de
ces dysfonctionnements et les conséquences pratiques à en tirer, comment
instituer une gestion démocratique, saine et efficiente de l'institution ?
Compte tenu de la mal-gouvernance constatée ces sept
dernières années, l’état des lieux ne peut être fait par les responsables
actuels du Conseil, Une étude d'évaluation réellement indépendante, s’avère une
nécessité. Comme conséquence pratique à tirer, rappelons-nous cette célèbre
maxime d'Albert Einstein : "On ne règle pas un problème en utilisant le
système de pensée qui l'a engendré... Ce n'est pas avec ceux qui ont créé les
problèmes qu'il faut les résoudre."
Autres suggestions
Le prochain organigramme devrait être clarifié pour éviter
la reconduction de l'autoritarisme et du « régime présidentiel » au niveau de
la gestion du Conseil. De même, si le maintien en poste et la sauvegarde des
intérêts du personnel qui exerce actuellement au Conseil est une mesure louable
(article 29), la reddition des comptes au plan financier et politique au niveau
de certains salariés-responsables, qui sont en même temps membres du Conseil,
est une nécessité incontournable.
Avec cette nouvelle proposition de loi, la Commission des
Affaires étrangères, de la défense nationale, des affaires islamiques et des
Marocains résidant à l'étranger à la Chambre des Représentants, devrait
normalement très rapidement inscrire à l'ordre du jour l'ensemble des textes en
présence concernant le CCME.
Pour leur discussion et aller en profondeur dans le débat,
en liaison avec la nécessaire opérationnalisation démocratique des divers
articles de la constitution concernant les MRE ( articles 16,17, 18, 163 et
même 30), un débat national, à organiser de manière rigoureuse et ouverte par
le Parlement dans son ensemble, avec l'étroite implication notamment de la
société civile MRE, serait le bienvenu.
Rabat, le 12 novembre 2014
Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat, Chercheur spécialisé en migration
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