1. La naissance de l’atomisme
Née en Tunisie, Inès Safi est diplômée de l’Ecole Polytechnique de Palaiseau et chercheuse CNRS en théorie de la matière condensée, au Laboratoire de physique des solides à Orsay, où elle étudie des systèmes de taille nanométrique.
Reconnue sur le plan international notamment pour son expertise dans les systèmes unidimensionnels, elle s’intéresse aussi, depuis quelques années, aux significations de la mécanique quantique, ainsi qu’aux questions éthiques et environnementales posées par la science. Elle est invitée à divers colloques et débats sur le thème « science et religion ».
Née en Tunisie, Inès Safi est diplômée de l’Ecole Polytechnique de Palaiseau et chercheuse CNRS en théorie de la matière condensée, au Laboratoire de physique des solides à Orsay, où elle étudie des systèmes de taille nanométrique.
Reconnue sur le plan international notamment pour son expertise dans les systèmes unidimensionnels, elle s’intéresse aussi, depuis quelques années, aux significations de la mécanique quantique, ainsi qu’aux questions éthiques et environnementales posées par la science. Elle est invitée à divers colloques et débats sur le thème « science et religion ».
L’atomisme est né à partir de concepts formulés dans des
contextes métaphysiques. Nous en retrouvons des versions au VIIIème siècle
avant notre ère, dans le traité chinois du Hong Fan, et au VIème siècle, chez
le sage hindou Kanada. Chez les Grecs, l’atomisme avait permis de concilier
l’immuabilité de l’être avec le changement et le mouvement. Il fut initié par
Anaxagore (500—428 av. J.C.), développé par Leucippe (490—430 av. J.C.) et son
élève Démocrite (469—370 av. J.C.), et diffusé par Lucrèce (1er siècle avant
J.C.).
Au sein de certaines doctrines islamiques, comme celles de la pensée
théologique ou kalâm, l’atomisme a pu être exploré et concilié avec la foi, ou
« islamisé », pour reprendre l’expression de Bernard Pullman. Dans la
perspective théologique des Mu’tazilah et des Ash’arites, l’atomisme est
compatible avec la foi, puisque Dieu ne cesse de recréer de nouveau les atomes
(et leurs « accidents » ou propriétés) à chaque instant (tajdîd al-khalq).
L’atomisme témoigne donc de la puissance du Créateur.
Le modèle atomique fut
aussi à la base de la cosmologie de Nasîr al-Dîn Al-Tûsî (1201—1274), considéré
comme l’un des principaux représentants chiites du kalâm. En particulier, selon
lui, l’univers a évolué à partir de particules semblables. Cette tendance à
l’unification des origines l’a aussi conduit à formuler une version des lois de
conservation, énonçant qu’« un corps de matière ne peut pas disparaître
complètement. Il change seulement de forme, condition, composition, couleur et
d’autres propriétés matérielles (complexes ou élémentaires). » Nous y
reconnaissons la fameuse maxime attribuée au grand chimiste Lavoisier
(1743—1794) : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».
Fakhr
al-Dîn Al-Râzî (1149–1209), dans son oeuvre Matâlib al-‘Aliya, avait étendu
l’existence du vide entre les atomes à l’espace entre les planètes et
constellations, pour aboutir à la possibilité d’une infinité d’univers.
L’alchimiste Jâbir Ibn Hayyân (721—815), dont le nom fut latinisé en Geber, est
qualifié de père de la chimie, avec Fakhr al-Dîn Al-Râzî (1149–1209) ;
Lavoisier disposait de ses oeuvres.
Jâbir avait postulé que les substances
étaient formées à partir de combinaisons infinies de « soufre » et de « mercure
», termes qui ne se réfèrent pas nécessairement aux produits que l’on connaît
actuellement. Il avait aussi élaboré une nomenclature des substances, ce qui
correspond à l’un des germes de la classification des éléments. Il énonça que
les réactions chimiques faisaient agir des substances en quantités finies, ce
qui représenta une version préliminaire de la loi des proportions multiples qui
interviendra en faveur de l’atomisme, un millénaire plus tard.
La situation fut bien différente en Europe : l’atomisme
semblait confondu avec un matérialisme excluant l’intervention d’un agent
créateur. L’Occident avait accédé au kalâm grâce aux traductions d’un
philosophe anglais du nom d’Adélard de Bath (1080—1160). L’Eglise s’y était
farouchement opposée, comme en témoigne l’arrestation d’Etienne de Clave en
1624, qui déclarait « tout est composé d’atomes ». Certains penseurs, restant
toutefois marginaux, cherchèrent à concevoir un atomisme en accord avec la foi.
Ce fut le cas, par exemple, de Gassendi (1592—1655) qui y trouva un modèle
d’organisation du monde compatible avec l’action divine.
L’atomisme commença à s’imposer dans les sciences dures dans
le courant du XIXème siècle. La cinétique des gaz fut étudiée, en se fondant
sur des lois statistiques d’un très grand nombre de molécules, et permit de
comprendre les propriétés macroscopiques des gaz. Mais on savait que ces
molécules n’étaient pas indivisibles, car formées d’atomes. L’œuvre de Dalton
(1766—1844) fut décisive : sans savoir encore quels atomes entraient dans la
composition des molécules, il détermina leurs masses relatives et développa la
première table de poids atomiques. Au sein de l’ensemble des observations
empiriques auxquelles il pouvait apporter une explication cohérente, figure la
loi des proportions multiples — énoncée d’une façon préliminaire par Jâbir ibn
Hayyân comme noté auparavant, puis élaborée par Joseph Proust (1754—1826) en
1794 et Lavoisier — qui put alors être interprétée comme étant due à des
échanges d’atomes.
Pour compléter la liste des 14 éléments chimiques déjà
connus depuis l’antiquité ou par les scientifiques arabo-musulmans, une longue
traque de nouveaux éléments fut entreprise dès le XVIIème siècle. Lavoisier
offrit une définition plus concise et une classification préliminaire des 23
éléments connus en 1789. Une table plus proche de celle utilisée actuellement
fut proposée par Dmitri Mendeleev (1834—1907) en 1869, et comportait alors 63
éléments.
Cependant, la charte d’organisation de ces éléments n’avait pas
encore été élucidée, car c’est le nombre d’électrons de chaque atome qui sera
la clé de ses propriétés chimiques. Même si une notion vague des électrons
existait préalablement, c’est avec Joseph Thomson (1856—1940) qu’ils furent mis
en évidence, en 1897. Nous pourrions dire que la fin du XIXème siècle fut
confortée dans le schéma d’une matière formée de particules matérielles
obéissant aux lois de la mécanique classique.
Par Inès Safi.
2ème partie : "Atomisme et kalâm"
2ème partie : "Atomisme et kalâm"
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