Entre le rural Houari, natif du village de Houara, élève du collège Hassan II des années 60-70, et le fonctionnaire actuel de la République française, que de chemin parcouru, que de choses entendues, vues et d’autres vécues, que de peines et de joies …
C’est à la Fondation Maison Du Maroc, ce mardi 2 juin 2015 à 19h30, à l’occasion d’une nouvelle présentation de Houara mon amour, que ce passé a de nouveau refait surface avec beaucoup d’émotion et de nostalgie, pour rejoindre un présent vivant qui atteste que le rural Houari natif du village de Houara est encore debout pour s’engager dans ses années 70. Vivant et debout comme l’est le préfacier du livre Daniel HOULLE, le professeur de français du collège Hassan II de cette époque, qui nous a fait l’honneur d’être présent, du haut de ses 70 ans passés, accompagné de sa femme et de son fils natif d’Agadir, pour apporter un témoignage rare, fort et vivant à propos d'une Mémoire commune au Maroc et à la France.
Daniel HOULLE a accepté par trois fois de donner l'image d'une France des valeurs universelles : la première en choisissant d'enseigner au Maroc, la deuxième en acceptant avec plaisir de préfacer le livre de son ancien élève houari devenu Français, et la troisième en se déplaçant du fin fond de sa retraite pour assister à cette présentation et dédicace.
Quelle soirée ! Plus qu’une énième présentation de Houara mon amour, c’est à une commémoration de nos retrouvailles que le public a assisté. Un public de jeunes et moins jeunes, pas forcément Soussi. Le talentueux Dr BEN MLIH a conduit le débat avec sa compétence habituelle dont la marque la plus évidente est l’absence de la langue de bois : « Houara mon amour est en fait un prétexte pour parler de toi ! ». Et la réponse de l’auteur : « Je m’aime et je m’adore ! Je suis narcissique à fond. D’ailleurs si je m’attends à ce que les autres fassent mon éloge, je risque d’attendre longtemps ! Car lorsqu’ils daigneront en faire, ce sera au moment de mon enterrement, et après, longtemps après. Mais je ne serai plus là pour les entendre. Alors autant m’aimer d’abord moi-même, maintenant. Et puis est-ce si pathologique de s’aimer soi-même ? Le contraire ne mène-t-il pas au suicide ? Je préfère m’aimer et vivre». Rires du public.
Par-delà l’anecdote, le Dr BEN MLIH soulève au fond une problématique beaucoup plus sérieuse et plus compliquée : le mobile de l’acte scripturaire. Pourquoi et pour qui écrit-on ? C’est ainsi toute la tradition littéraire questionnant l’auteur sur ses motivations dans l’acte d’écriture, de Saint Augustin (Augustin d’Hyppone, Les Confessions-13 livres), Rousseau (Les Confessions-12 livres) à Sartre (Les Mots), Sarraute (Enfance), Duras (Un barrage contre le Pacifique) et bien d’autres, en passant par Chateaubriand (Mémoires d'outre-tombe-12 volumes), etc., qui est convoquée par la question posée, faussement provocatrice. Le XXe siècle est d’ailleurs celui du triomphe du genre de l’autobiographie.
Pourquoi donc ai-je écrit Houara mon amour ? Et pour qui ? Pour moi et pour parler de moi ? Est-ce une autobiographie ? Ce n’est en tous cas pas un roman. Et pour cause : ce que j’y raconte n’est pas une fiction ! A peu de différence près.
Alors pourquoi et pour qui. Une partie de la réponse, élaborée, se trouve dans l’avant-propos : quelques pages. Je dis une partie car l’autre, dont les dimensions sont insondables, est inconsciente. Parler de moi en fait sans doute partie, mais mon conscient s’en défend. N’ai-je d’ailleurs pas prévenu le lecteur dès la première phrase de l’avant-propos que le « je » du poème est « imaginaire » ? De plus, une fois publié, suis-je encore véritablement l’auteur de mon livre ? En réalité je n’en possède plus que ma signature. Et d’ailleurs suis-je vraiment « un » ? Au fond, lequel des « Abdellatif CHAMSDINE » a écrit Houara mon amour ? Avec quelles identités ? Le Marocain, le Français, le fonctionnaire, le rural de Houara … ?
Daniel Houlle a évoqué le souvenir de son élève : j’ai eu la chance et le privilège d’entendre pour la deuxième fois mon éloge de mon vivant : une fois dans les marges de mes copies d’élève houari, et l’autre ce mardi 2 juin 2015, de vive voix par la même personne : mon ancien professeur. J’étais ce soir-là la madeleine proustienne de Daniel ! Le souvenir d’Abdellatif a, comme on pouvait s’y attendre, fait remonter avec lui une bonne partie de cette époque. Et notamment la qualité de vie et des relations humaines. Les collègues professeurs bien sûr, mais aussi le directeur du collège, Mohamed Ali El Atiq, les élèves, les loisirs partagés avec les collègues, les cérémonies des fêtes versaillaises du Trône, les potins politiques. A ce propos un membre du public a formulé la remarque suivante : « Houara mon amour contourne la politique ». Et l’auteur de répliquer : « Tout acte scripturaire est un acte politique ». De plus en lisant de plus près, on remarque que l’ouvrage aborde, dans la deuxième partie de façon plus directe, la question politique à plusieurs reprises : aperçus historiques à propos du protectorat et post-protectorat, suggestions de politique de la ville, gestion du patrimoine culturel (Moussems, Médersas, Confréries …).
La soirée s’est terminée comme il se doit en pareille circonstance, par la séance des dédicaces et des photos dans la magnifique salle de la Fondation Maison Du Maroc, mise gracieusement à disposition par le Dr Mohamed KOUAM, directeur de la Fondation, auquel j’exprime ici toute ma gratitude et mes vœux les plus fervents d’une prompte guérison.
Je remercie également le public présent et le luthier qui a accompagné au Oud la lecture des passages de Houara mon amour.
Lorsque nous avons quitté la Fondation Maison Du Maroc située au cœur de la Cité internationale parisienne, un parfum de nostalgie flottait encore dans l’air estival parisien. L’image de l’élève rural, natif du village de Houara des années 60-70, partagée par le professeur de la même époque, Daniel HOULLE, est restée intacte, ce mardi 2 juin 2015, dans le présent vivant du fonctionnaire dévoué aux valeurs de la République française.
Abdellatif CHAMSDINE
Paris, 25 août 2015
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