Dans le cadre de la 8ème Edition de la Semaine
Internationale de la Mémoire et du Souvenir des Tirailleurs Africains, Troupes
Coloniales, Indigènes, Combattants d’Outre-Mer, de Madagascar et d’Indochine,
morts pour la France lors des deux Guerres mondiales de 14-18 et 39-45, la société
civile parisienne, parrainée par le ministère d'Outre-Mer, a organisé un week end riche en réflexion et émotions très
fortes pour commémorer ces héros venus d’ailleurs pour participer, aux côtés de
leurs frères d’armes de métropole, à la libération de la France des griffes du
nazisme.
![]() |
Fatema BINET OUAKKA, Les fantômes de la guerre Tirailleurs Marocains, Fusain sur papier, 2014 |
Fatema BINET OUAKKA :
"... Une de mes toiles s'intitule « Automne Planétaire » au lieu de faire référence à ce qui aurait paru être un printemps local,
Automne...
Qu'est-ce qui fait que je crois pouvoir rassembler des révoltes naturelles dans un ensemble commun ? À moins de les associer, comme beaucoup le font, à une action anthropique qui serait la cause commune de tous ces dérèglements qu'on nous annonce. « Je me demande, disait un ivrogne lucide, si le climat n'agit pas sur le mental des hommes et les rend encore plus violents qu'ils ne l'étaient avec leur vraie nature ». Encore faudrait-il que ces hommes aient une nature ! Et que ce que nous nommons « nature » puisse se révolter. "
![]() |
Abdellatif CHAMSDINE Paris, Arc de Triomphe : plaque commémorative |
![]() |
Abdellatif CHAMSDINE (auteur, président fondateur de l'AFM2R), Naima MOGHIR (présidente de l'association L'AMBASSADRICE), |
Les témoignages des descendants de ces héros morts pour la
paix et la liberté ont été nombreux et souvent poignants. Les soupirs en
disaient long sur les frustrations et la souffrance muette. Des larmes ont même
foulé les visages parfois bien ridés des familles présentes accompagnées de
leurs enfants. L’amertume et l’indignation aussi, mesurées certes, car ces
descendants de héros morts pour que vive la République n’arrivent toujours pas à comprendre pourquoi
le sacrifice de leurs parents soit si peu enseigné et médiatisé.
L'artiste peintre Fatema BINET OUAKKA qu'on ne présente plus et dont le père était également un ancien combattant pour la paix et la liberté, évoque ici la survivance jusque dans ce titre qui aurait pu se suffire à lui-même. Mais c'est omettre que la peinture qui nous regarde les yeux ivres, nous parle aussi. Lucidement. Elle nous dit notre état dans la survivance. Les mots violentés par ceux de notre espèce humaine qui ne parlent que d'eux à eux, sont désertés par leurs valeurs. Perte de clarté. Mais "nous survivrons" nous dit l'artiste peintre qui s'agrippe comme il se doit à l'art. "Nous survivrons". Mais dans quel état. Celui de cette peinture de Fatéma qui n'est pas sans évoquer les grimaces macabres de L'Intrigue de James ENSOR, ou mieux, Guernica, le monument de PICASSO, "hymne confus des morts que nous aimons" comme le disait Victor Hugo, l'autre visionnaire :
"Soleils couchants"
Le soleil s'est couché ce soir dans les nuées;
Demain viendra l'orage, et le soir, et la nuit ;
Puis l'aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ;
Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s'enfuit !
Tous ces jours passeront ; ils passeront en foule
Sur la face des mers, sur la face des monts,
Sur les fleuves d'argent, sur les forêts où roule
Comme un hymne confus des morts que nous aimons.
Et la face des eaux, et le front des montagnes,
Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts
S'iront rajeunissant ; le fleuve des campagnes
Prendra sans cesse aux monts le flot qu'il donne aux mers.
Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête,
Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux,
Je m'en irai bientôt, au milieu de la fête,
Sans que rien manque au monde immense et radieux !
"Soleils couchants", Les Feuilles d'Automne, 1831
Ou encore Mahmoud DARWICH, l'inoubliable poète palestinien, l'amoureux de Rita la juive : "oublié tu seras, comme si tu n'a jamais été" ("تنسي كأنك لم تكن") :
Poème traduit par Abdellatif CHAMSDINE :
"Oublié, tu seras
Comme si tu n’as jamais été
Oublié comme la mort d’un oiseau
Comme une église abandonnée
Comme une aventure amoureuse
Comme une fleur dans la nuit
Oublié
Je suis un marcheur … je vais … je passe
D’autres pas ont précédé les miens
D’autres ont pensé pour moi
Ont parlé pour moi
Pour créer l’histoire
Ou pour éclairer le chemin
Pour les suivants
Une empreinte de musique … une intuition
Oublié, tu seras
Comme si tu n’as jamais été
Personne ou texte …Tu seras oublié
Je vais au gré de ma perception, peut-être
Je concède à l’histoire ma vie. Car les mots
Me vident comme je les vide. Je suis leur forme
Ils se déploient avec liberté, mais ce que je dirai est déjà dit
Un futur passé me précède. Je suis le roi de l’écho
Pas de trône en dehors des marges et le chemin c’est le cheminement
Peut-être que les anciens ont oublié d’invoquer quelque chose
Qui aurait pu ressusciter une mémoire ou une sensation
Oublié
Comme si tu n’as jamais été
Une nouvelle, ou une trace
Oublié
Je suis un marcheur … il y en a là-bas qui marchent sur mes pas
Et me comprennent
Ils diront des poèmes pour les jardins de l’exil
Devant la maison
Libres de l’esclavage de la veille
Libérés de ma tutelle et ma langue
Alors vois : je suis vivant
Et libre
Lorsque j’oublie"
Le poème dans sa langue d'origine :
![]() |
Fatema BINET OUAKKA, Nous survivrons, peinture sur papier 2014 |
"Soleils couchants"
Le soleil s'est couché ce soir dans les nuées;
Demain viendra l'orage, et le soir, et la nuit ;
Puis l'aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ;
Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s'enfuit !
Tous ces jours passeront ; ils passeront en foule
Sur la face des mers, sur la face des monts,
Sur les fleuves d'argent, sur les forêts où roule
Comme un hymne confus des morts que nous aimons.
Et la face des eaux, et le front des montagnes,
Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts
S'iront rajeunissant ; le fleuve des campagnes
Prendra sans cesse aux monts le flot qu'il donne aux mers.
Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête,
Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux,
Je m'en irai bientôt, au milieu de la fête,
Sans que rien manque au monde immense et radieux !
"Soleils couchants", Les Feuilles d'Automne, 1831
Ou encore Mahmoud DARWICH, l'inoubliable poète palestinien, l'amoureux de Rita la juive : "oublié tu seras, comme si tu n'a jamais été" ("تنسي كأنك لم تكن") :
Poème traduit par Abdellatif CHAMSDINE :
"Oublié, tu seras
Comme si tu n’as jamais été
Oublié comme la mort d’un oiseau
Comme une église abandonnée
Comme une aventure amoureuse
Comme une fleur dans la nuit
Oublié
Je suis un marcheur … je vais … je passe
D’autres pas ont précédé les miens
D’autres ont pensé pour moi
Ont parlé pour moi
Pour créer l’histoire
Ou pour éclairer le chemin
Pour les suivants
Une empreinte de musique … une intuition
Oublié, tu seras
Comme si tu n’as jamais été
Personne ou texte …Tu seras oublié
Je vais au gré de ma perception, peut-être
Je concède à l’histoire ma vie. Car les mots
Me vident comme je les vide. Je suis leur forme
Ils se déploient avec liberté, mais ce que je dirai est déjà dit
Un futur passé me précède. Je suis le roi de l’écho
Pas de trône en dehors des marges et le chemin c’est le cheminement
Peut-être que les anciens ont oublié d’invoquer quelque chose
Qui aurait pu ressusciter une mémoire ou une sensation
Oublié
Comme si tu n’as jamais été
Une nouvelle, ou une trace
Oublié
Je suis un marcheur … il y en a là-bas qui marchent sur mes pas
Et me comprennent
Ils diront des poèmes pour les jardins de l’exil
Devant la maison
Libres de l’esclavage de la veille
Libérés de ma tutelle et ma langue
Alors vois : je suis vivant
Et libre
Lorsque j’oublie"
![]() |
Fatema BINET OUAKKA, Pour qui dois-je choisir,2014 |
Le poème dans sa langue d'origine :
تُنْسى , كأنك لم تكن
تُنسى، كأنَّكَ لم تَكُنْ
تُنْسَى كمصرع طائرٍ
ككنيسةٍ مهجورةٍ تُنْسَى،
كحبّ عابرٍ
وكوردةٍ في الليل .... تُنْسَى
أَنا للطريق...هناك من سَبَقَتْ خُطَاهُ خُطَايَ
مَنْ أَمْلَى رُؤاهُ على رُؤَايَ. هُنَاكَ مَنْ
نَثَرَ الكلام على سجيَّتِه ليدخل في الحكايةِ
أَو يضيءَ لمن سيأتي بعدَهُ
أَثراً غنائياً...وحدسا
تُنْسَى, كأنك لم تكن
شخصاً, ولا نصّاً... وتُنْسَى
أَمشي على هَدْيِ البصيرة، رُبّما
أُعطي الحكايةَ سيرةً شخصيَّةً. فالمفرداتُ
تسُوسُني وأسُوسُها. أنا شكلها
وهي التجلِّي الحُرُّ. لكنْ قيل ما سأقول.
يسبقني غدٌ ماضٍ. أَنا مَلِكُ الصدى.
لا عَرْشَ لي إلاَّ الهوامش. و الطريقُ
هو الطريقةُ. رُبَّما نَسِيَ الأوائلُ وَصْفَ
شيء ما، أُحرِّكُ فيه ذاكرةً وحسّا
تُنسَى، كأنِّكَ لم تكن
خبراً، ولا أَثراً... وتُنْسى
أَنا للطريق... هناك مَنْ تمشي خُطَاهُ
على خُطَايَ, وَمَنْ سيتبعني إلى رؤيايَ.
مَنْ سيقول شعراً في مديح حدائقِ المنفى،
أمامَ البيت، حراً من عبادَةِ أمسِ،
حراً من كناياتي ومن لغتي, فأشهد
أَنني حيُّ
وحُرُّ
حين أُنْسَى!
محمود درويش
Survivre donc aux " morts que nous aimons" par leur souvenir sans pour autant transformer celui-ci en prison de la mémoire.
Le dépôt de gerbe de fleurs sur la tombe du soldat inconnu ce dimanche 8 novembre 2015 était plus qu'un symbole : une catharsis.
Abdellatif CHAMSDINE
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire